Les autres dorment. J'ai réussi à m'extraire sans bruit (?) de la tente, que j'ai partagée cette nuit avec Jean-Philippe. Duvet, tapis de sol, bouquin, carnet, stylo et quelques vêtements m'ont accompagnés. Depuis que je me suis installé sur un affleurement rocheux plan mais pentu à 3 mètres du campement, le soleil semble avoir déjà bien dû monter d'une trentaine de degrés au-dessus de sa position initiale. Cette lumière de plus en plus verticale me permet de regarder au levant en plissant de moins en moins les yeux, pour contempler ce loch au-dessus duquel nous nous sommes installés péniblement hier soir. Le ciel est presque parfaitement peint de ce bleu clair et pâle qu'on trouve dans les hautes latitudes, mais une brume légère m'empêche de voir le contour de toutes les collines, montagnes avoisinantes. Plus inquiétant, une très imposante masse nuageuse mange les sommets à l'est et semble se rapprocher de nous, sous l'effet de ce fort vent qui ne nous a pas quitté depuis que, en allant presque tout droit sur la première montagne avoisinante, nous avons laissé Ullapool derrière nous, hier en fin d'après-midi.
Le paysage est magnifique (il me semble que j'ai fort intérêt à varier mes qualificatifs du beau...), chaque regard ferait une carte postale. Néanmoins, c'est une appréhension que je ressens le plus. La désolation tant cherchée est un peu angoissante. Il n'y a absolument aucune marque de passage humain pour me rassurer en me rappelant la présence de la communauté des hommes et gâcher mon plaisir d'isolement. Encore une contradiction... Même le chemin, que nous avons finalement rejoint pour venir ici, par un effet du sort, est caché, mangé par les formes ondulées de la marée verte.
Je suppose et j'espère me faire à la désolation. La compagnie des trois autres lascars dont je perçois les prémices de réveil ainsi que l'habitude (tête de Jean-Philippe vue à travers la porte ouverte de sa tente) positivée devrait me permettre de jouir totalement de cette désolation recherchée et des paysages vides d'humanité.
A l'heure qu'il est, ces premières angoisses me paraissent totalement dépassées. J'ai à nouveau une envie irrépressible de me retrouver plongé dans une nature à l'état brut. Je ne sais pas si c'est parce que je n'ai rien appris, ou au contraire parce que j'ai tout appris...
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