Jeudi 5 août 1999, 7h15 :
 Photo du campement au matin, prise du lieu où j'écris, avec Cam Loch au fond. (5/8/99, vers 11h) |
Le paysage est époustouflant. La nature à l'état brut sans ce sentiment angoissant, ce lugubre d'hier. |
Je suis en haut d'une petite colline rocailleuse, à 50 m au-dessus du campement, qui surplombe lui-même le Cam Loch de 150 m. Le massif du Suilven, plusieurs fois pris en photo est visible très nettement dans la lumière cristalline de ce matin sans nuage. Un peu plus au nord, le Canisp trône de toute sa masse, dans sa rondeur et ses formes généreuses, le contraire du Suilven très abrupt. Ce premier a de fortes chances d'être le point fort de la journée de marche qui s'annonce.
Le sentiment de beauté, sans angoisse aucune, de contemplation qui m'envahit est peut-être dû à l'immensité du panorama (360°), à moins que ce ne soient les présences humaines du village d'Elphin distinguable au loin, avec la route par laquelle un écossais d'Aberdeen au langage compréhensible, également en vacances, nous a mené jusqu'au pied du sentier que nous allons plus ou moins (Canisp ou non) continuer de suivre aujourd'hui jusqu'à Lochinver (18 km environ).
Bain-douche et vaiselle dans Loch Dubh, près duquel était le campement d'hier, stop (quoique sur 6 km, Jean-Philippe et moi avons marché alors que les autres nous ont dépassé en fourgonnette Highland Express, tous klaxons dehors), petite crotte devant et baignade dans Cam Loch, tels furent les grands moments de la journée d'hier. J'allais oublier le féerique coucher de soleil sur le Suilven.
Une photo a été prise pour tenter de capturer sur papier cette double épine rocheuse auréolée par les roses-rouges-oranges d'un soleil couchant, inaccessible repère de trésors cahés, magnifique Olympe aride apparaissant comme l'aboutissement d'une longue quête aux aventuriers et chasseurs de trésors que nous sommes. Plus d'angoisse, le bonheur. |
 La photo (ratée ?) du Suilven dont je parle. (4/8/99, vers 21h) |
Le premier contact avec les midges s'est fait également hier. Quelques piqûres sur le bras pendant que je posais ma crotte à quelques dizaines de mètres de Cam Loch, et surtout la nuée, la flottille grouillante, l'amas d'esquadrons chaotiques du lieu du campement. Celui-ci est sur le versant sud de l'éminence sur laquelle j'ai terminée de monter, dans un petit renfoncement, un peu à l'abri du vent. Le vent était hélas plus faible hier soir. On l'a pourtant appelé ce vent pour qu'il nous chasse ce grouillemeent aérien de parasites. Le midge (le singulier est absurde car ils sont toujours par unités de cinquante) est un moustique à peine plus grand qu'un carreau de ces pages, toutes ailes et pattes sorties, il pique sans faire mal et gratte peu. Pourquoi en faire tout un fromage alors ? (Cela me rappelle qu'on en a mangé hier soir dans les pâtes au thon (merci Ben pour ce cadeau de mes 18 ans)). C'est qu'il y en a des centaines, des milliers ! Sur mon sweat shirt jaune (on était habillé de la tête au pied pour se protéger davantage), j'en voyais trottiner au moins deux cents, à la recherche d'une goutte de sang à pomper. Ils attaquent même le cuir chevelu. Je me suis gratté à peine, et cette nuit, à 3h15, réveillé depuis une demi-heure par une crise de démangeaison, je suis sorti pour m'apaiser ça en me vidant de l'eau sur la tête. Ciel faiblement étoilé, le croissant de lune baignant toute la nuit de sa douce lumière nacrée, pieds nus, je suis donc parti à la recherche d'une gourde pour calmer ces insoutenables frissons de démangeaisons. Dans les trois mètres qui séparaient l'auvent de la sortie que j'ai empruntée, je me suis fait piquer les pieds une bonne vingtaine de fois, chacun. J'allume la lampe frontale et je me découvre en plein milieu d'un véritable essaim. Prise de gourde, ça grouille, des chaussures, ça gratte, extinction de la lampe, ça envahit, pieds à peine frottés pour retirer l'amas de midges et d'herbe mouillée, ça revient toujours, chaussures aux pieds, ça te suit, quelque pas pour fuir bêtement, ça harcèle, la gourde vidée dans les cheveux, ça se faufile, malgré mes attaques saccadés, bouchon refuse obstinément goulot, ça te crispe, bouchon perdu dans une maladresse, ça t'excède,, j'abandonne tout par terre, ça t'horripile, j'expédie mes chaussures dans le auvent, me jette dans la tente, ouverte et fermée en un temps record, accompagné pourtant d'une horde d'une cinquantaine de specimens, éliminés tant bien que mal par la suite (avec l'aide d'un Pierre heureux d'être réveillé à cette heure à cause du fléau). Le produit antimoustique, bien que ne procurant pas une protection totale, est quand même efficace : il suffit comparer l'état de mes pieds exposés trois minutes à la menace piquante et celui de mes bras ou de ma figure. Nous avons fort intérêt à très bien choisir nos places de campement avec l'exposition au vent comme un luxe indispensable.
Petit regret sur l'écoulement de ces premières journées : toute l'activité que génère la marche, le campement, la vaiselle, la cuisine, le rangement, fait que nous passons tout notre temps à nous agiter, fort agréablement certes, mais il nous reste peu de temps pour admirer les paysages, assis tous les quatre, à sortir dans le sifflement du vent de belles vérités éculées, partager notre contemplation, nos impressions, bref parler de sorte à sentir la présence intérieure de l'autre. Midges could be the reason...

Nous marchons vers Cam Loch, avec le Suilven au fond. (4/8/99, vers 18h)

Exemple d'activité, qui fut particulièrement longue à ce campement : Pierre revenant de sa quête d'eau, vu du camp. (5/8/99, vers 9h ou 11h)
Il est 8h à peine passé, il est temps d'aller réveiller les autres.