On est à la gare d'Achnasheen. Ce matin, à Torridon, on a pris le postbus, avec un écossais en kilt pure souche, et on attend le train de 12h50 pour Inverness. En opposition à la phrase "ça sent le départ !" si souvent répétée depuis qu'on a laissé le port de Roscoff derrières nous, je dirais que "ça sent le retour".
Un temps maussade et humide, un vent inexistanr nous offrant des midges omniprésents, des conditions de camping très difficiles qui m'ont fait prononcer en premier l'idée d'un abandon prématuré du Wester Ross, pour ailleurs, pour moins de midges au moins : pays de Galles, sud-est de l'Ecosse, pourquoi pas ? Une fois ce message de confort retrouvable prononcé, nous avons monté divers projet de retour, mais l'idée de retour s'est vite imposé : nous prendrions le premier bus partant de Torridon ! C'est alors, face à la détermination que manifestaient Loïc et Pierre que j'ai davantage commencé à prendre conscience de ce que cela représentait. J'ai émis des réserves, des possibilités d'apprendre, auprès d'un centre de randonneurs à Torridon, des techniques pour trouver efficacement un coin suffisamment sec pour camper. Et puis que c'est pas si grave quelques midges, on peut toujours trouvé du vent. Consultons la météo. Ne laissons pas le loch Maree. N'abandonnons pas ce Wester Ross, but premier de notre voyage. Ne cédons pas ce paradis capricieux, toujours paradisiaque par ces caprices de force de la nature, comme l'océan, pour retrouver le confort de notre presque Enfer. Trop tard. Plus déterminé que moi, plus stable, moins lunatiques, plus raisonnables peut-être, moins idéalistes, plus à l'aise sûrement dans ce paradis déchu que nous avons fuit pour une parenthèse de trois semaines de rêve. Direction : gare d'Achnasheen où nous attend un train dans une heure environ qui lui, nous jettera définitivement sur le bitume.
Le temps est nuageux, très venté et de belles éclaircies s'offrent parfois à nos yeux. Il n'empêche.
La ballade n'était plus un plaisir. Mon dos écorché et le mal au genou de Loïc rajoutait des désagréments à la randonnée. Sur le chemin, dans un coin un peu venté, on a commencé à penser à un retour précoce, inquiet en particulier à l'idée de ne trouver que des terrains détrempés pour planter les tentes. Sans parler des midges.
Une fois l'idée amenée, la décision fut vite prise implicitement, mais je ne m'y suis toujours pas résolu. J'aurais voulu demander au Countryside Center, à Torridon, des conseils pour le camping sauvage avec le temps et le sol actuel. Mais ce matin, ils étaient totalement décidés à retourner à Inverness.
J'ai un certain ressentiment injuste envers eux, même si c'est moi qui ai parlé en premier du retour. C'est que ce départ des Highlands m'est un véritable déchirement. J'ai l'impression d'abandonner stupidement, prématurément, le paradis que j'ai attendu pendant 2 ans, et que je recherche de tout temps. Je me revois dans le bus postal, à avancer sur la route sinueuse s'échappant du glen du loch Maree, qui était le but de notre dernière virée, dans le Wester Ross. La petite camionnette grimpe la pente douce, sous la main experte et habituée de notre conductrice, les vitesses s'embrayent rapidement et nerveusement. Nous laissons Kinlochewe derrière nous, en nous élevant, comme pour mieux admirer ce loch magnifique avec lequel nous avons préféré abandonner l'idée de passer un moment. Le fourgon avance, ça tire fort, je me retourne autant que je peux, ouvre mes yeux le plus grand possible pour tout admirer, vivre jusqu'au bout toutes ces merveilles nouvelles qui s'offrent encore à moi. Défilent le Suilven, le col à Tarbert, le refuge, et toute cette incroyable nature sauvage, cette wilderness, pleine de recoins secrets, de caches, de vallées encaissées, de petits Eden inexplorés. Et je rentre. On rentre. On laisse. On abandonne. On retourne au confort. Pour le confort. J'avais proposé comme compromis (oh l'horrible chose, encore une fois) entre mon angoisse des midges surnombreux, des duvets mouillés et ma volonté de continuer le camping sauvage et la randonnée. J'allais à reculons vers la fatalité, comme j'ai remonté le Glen Docherty tourné vers la lunette arrière de la camionnette, contemplant le loch Maree, derrière. Le postbus passe le col. Le loch Maree a disparu. Fin.
13h10 : dans le train pour Inverness.
J'ai interrompu l'écriture dans le carnet de bord face à l'urgence de trouver quoi faire des jours qui nous restent, afin de décider, ou non, d'utiliser notre dernier jour de voyage avec le pass. On rente donc sur Inverness, qu'on ne quittera que vendredi en fin de soirée afin d'être au petit matin sur Londres et y passer la journée. Le fait que je sache maintenant ce qu'on va faire de notre journée de jeudi et que je l'apprécie à l'avance (on ne glandera pas, c'est certain) fait que j'ai plus d'enthousiasme,ou pour être plus juste, moins de difficulté, à quiter les Highlands sur cette magnifique voie ferrée (sans aucune ironie).
Ca sent le retour, c'est certain. Notre ancien quotidien se transforme peu à peu en souvenir, appartenant à un passé lointain.
Rien que la nuit d'avant-hier soir, lundi, au refuge. Je me remémore avec émotion notre joie de trouver ce bothy à 19h30, sous un ciel menaçant et dans un air humide et infesté de midges, juste à l'heure où on commençait à vouloir chercher une place sèche, plane, et sans grosses pierres (trio impossible à priori) pour les tentes. On pose les sacs au refuge. On le visite un peu. Il est vide, à nous pour ce soir et contient une cheminée, sans aucun bois. On se lance alors dans une quête folle à la recherche du bois vermoulue. La première zone boisée est à deux kilomètres en arrière. On repart sur le sentier à marche forcée (on se sent si léger sans les sacs), et après quelques déboires pour passer une grosse rivière et traverser un bon kilomètre de tourbe, on arrive sur la zone boisée qui ne fait que longer le cours d'un ruisseau encaissé. On repère tout de suite un bouleau mort, toujours sur pied. Et c'est dans une végétation luxuriante et splendide digne d'une jungle, sous un crachin persistant, dans un air plus midgisé qu'humide, et sur un terrain très pentu, glissant, aux roches saillantes et peu stables (l'une d'elles est d'ailleurs tombé à plat sur mon dos) que nous avons ramassé un gros paquet de bois, abattu l'arbre, armés des seules scies de nos couteux suisses (bravo Victorinox !).
Nous nous étions levé, ce dimanche 15 août, à une heure matinale, abandonnant notre camping municipal pour une longue journée de stop. Vers 13h30, à la sortie de Portree, nous commencions à tendre le pouce pour rejoindre Kyleakin, dernier lieu juste avant le pont rattachant l'île de Skye à la terre et à Kyle of Lochalsh, terminus du train provenant d'Inverness. A 14h00, nous décidâmes de nous séparer afin d'augmenter nos chances d'être pris, après avoir pris soin de nous donner rendez-vous au Tourist Information de Kyleakin.
Je fus pris à 14h30 par un couple d'allemand de Leipzig. En passant devant Pierre et Loïc; postés 500 m plus loin, j'eus beau gesticuler au possible, ils ne m'aperçurent pas. Je fus déposé à Broadford, à moins de 10 km de ma destination. Repris sans trop de problèmes par un couple vivant sur Skye (c'est le seul contact que j'ai eu avec des autochtones sur cette île infestée de touristes (dont nous faisons parti à notre manière...)), j'appris alors qu'il n'y avait pas de Tourist Information à Kyleakin. Le couple me fit faire un tour du village. Je constatai que le seul Tourist Information qu'il y avait était un panneau au bout du quai accueillant autrefois les anciens ferries. Je me rendis à l'avis du couple qui pensait que le meilleur point pour attendre mes amis était le rond-point précédant le pont et donnant accès à l'unique route menant à Kyleakin. J'y attendis de 15h30 à 16h30 le temps d'une grosse averse. A ce sujet, il est important de noter que le temps de ce dimanche 15 août fut, de loin, le plus pluvieux et le plus gris qu'on ait connu de tout le voyage, jusqu'à présent. A 16h30, après avoir scruté pendant une heure la route d'où j'étais venu, en luttant contre le sommeil, encapuchonné, figé sous mon poncho étalé en large pour protéger mon sac, baché de jaune, me servant de siège, adossé à un petit muret de pierre, je pris le chemin du centre de Kyleakin afin de voir si Loïc et Pierre n'étaient pas passés sans qu'on ne se voient, et prendre connaissance des horaires des bus venant de Portree. En effet, il y avait des bus, très rares, reliant Portree à Kyleakin le dimanche, jour où traditionnelement l'Ecosse se plonge dans une inactivité quasi-totale, ce qui nous fît supposer que nous ne pouvions compter que sur le stop pour voyager le "jour du Seigneur".
Pendant out ce temps, Pierre et Loïc attendirent davantage que moi leur première voiture. Ils ne furent pris qu'autour de 15h30 pour arriver, en 2 voitures comme moi, à Kyleakin vers 17h15. Je regrette actuellement d'avoir été pris plus tôt qu'eux car leur première voiture fut celle de jeunes filles au physique très alléchant, qui avaient l'habitude de prendre tous les auto-stoppeurs. Ce dernier détail fit supposer à mes amis que j'avais déjà été pris, étant parti en amont sur la route, et donna à leur retour à la civilisation un charme inégalable.
(même jour, vers 17h, à Inverness, non loin du pierceur de Loïc)
Entre 16h30 et 17h25, je rejoignis donc le centre de Kyleakin, pris un fried sausage & chips dans un take away, allai au bout du quai, à ce seul semblant de Tourist Information, revîns au centre, regardai l'horaire du prochain bus en provenance de Portree, glissai ma tête dans la principale youth hostel du village, car toutes les personnes, à qui j'avais parlé du Tourist Information, m'avaient plutôt redirigé vers cette auberge de jeunesse. Je supposai donc que Loïc et Pierre avaient de fortes chances de passer ici en me cherchant. (vendredi 20 août, 10h35, camping d'Inverness) Il y avait une file d'attente désespérante devant le comptoir de celle-ci, si bien que je raportai ma petite commission / demande d'aide à plus tard. Le prochain bus arrivait à 19h35 de Portree, C'est en comptant que j'avais encore deux heures à attendre sous la pluie que je rejoignis mon poste d'attente au raond-point. Je n'avais certes pas dit à l'auberge de jeunesse que si deux français bruns aux cheveux longs se pointaient à la recherche d'un troisième type aux cheveux longs châtains clairs, ils pouvaient aller le chercher au roundabout, mais je m'étais convaincu qu'ils ne pouvaient pas me passer devant sans qu'on s'aperçoive. Je reviendrais à Kyleakin après 19h35 pour voir s'ils n'étaient pas là et pour commencer à chercher sérieusement un coin pour dormir !
Vers 17h15, à leur arrivée à Kyleakin, ils me cherchèrent dans le petit village, demandèrent à quelques auberges de jeunesse (dont la grande youth hostel) s'ils n'avaient pas vu un type correspondant à mon signalement, prirent un café dasn le Pier Coffee Shop, se postèrent à l'arrêt de bus, qui offrait une vue totale sur le coeur du minuscule village où chacun était obligé de passer, et où j'avais lu les horaires à 17h25 ! Ne m'ayant pas trouvé et vu l'heure tardive, ils réservèrent trois lits dans la Backpackers hostel.
Pendant que je regoûtais aux joies de l'attente sous la pluie avec le sac-à-dos à pas mouiller. Un plaisir rare fait du clapotis de l'eau sur la capuche, des regards interloqués, amusés ou inquiets des passants en voiture, d'idées noires et de découragement qu'on cherche à tromper en se donnant des plans d'action précis, avec des horaires, des endroits où aller, des choses à faire. Donc, pendant ce temps, Pierre et Loïc poireautaient également, mais au centre de Kyleakin, dans l'arrêt de bus.
(même jour, vers 18h30 : même lieu)
A 19h40, je me décidai à bouger. J'allai au téléphone le plus proche qui était celui d'un B&B de haut de gamme. Coup de fil vers la France pour indiquer à des contacts là-bas que si Pierre et Loïc avaient la même idée que moi, nous pourrions communiquer ainsi. Je réussis à faire proposer au tenant du Bed and Breakfast de me prendre en voiture faire un tour pour voir si mes amis n'étaient pas quelque part aux alentours. Je me suis entre autre arrêté demander à la grande youth hostel si elle n'avait pas vu de personnes correspondant à mes amis. Finalement, je suis allé passer une nuit dans une auberge de jeunesse, où ils étaient également passés donner mon signalement, en face, de l'autre côté du port, de celle où ils passèrent la nuit. Et pour terminer sur une dernière infortune : ils ont faillis passer au seul pub du village où moi-même j'ai passé une partie de ma soirée ! (Le lecteur excédé voudra bien m'excuser pour cette répétition excessive de passer !)
Soirée fort agréable d'ailleurs, pour moi, comme pour eux, faite de rencontres et discussion avec des personnes de nombreuses nationalités différentes.
Et c'est au matin, après avoir mis en batterie tout un plan d'action pour la journée, mettant en jeu entre autres Jean-Philippe en France, qu'ils ont hurlés mon nom à travers le porten m'apercevant sur l'autre rive. Quel transport de joie ! Revoir leurs deux bonnes gueules hilares ! Leurs sourires, leurs façons d'être, de se mouvoir, leurs tics ! Entendre leurs rires, leurs expressions, le son de leur voix ! Ce fut à l'évidence ma plus grande joie de tout ce voyage. Mes autres grands plaisirs sont de l'ordre de la félicité, ce qui n'est pas mal non plus.
Cette immense joie fut le moment humain le plus fort de cette journée de lundi terminée très agréablement autour du feu dans le refuge.Le reste de ce jour fait de voyage en bus et rain, et d'un peu de marche sous un ciel et un crachin intermittent ne présenta pas de réel intérêt, surtout comparé aux évènements si intenses de la matinée et de la soirée.
Nous sommes maintenant à Inverness. L'arrivée dans notre ville des derniers préparatifs fut un accueil ensoleillé et musical dans une rue piétonne. Des belles filles en jupe se baladaient dans les rues. Ressourcé après avoir étanché ma soif de nature et de vie sauvage, je me sens d'attaque à sauvagement rassasier mon appétit de vivre et de rencontre au féminin.
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